1863

… Alors que le salon de Paris piétine au seuil de la peinture moderne en refusant « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet, en Brabant, les pouvoirs publics, soucieux de décharger l’Académie de Bruxelles, malade de surpeuplement, envisagent la création, dans les communes suburbaines, d’écoles spécialisées dans l’étude des Beaux-Arts et leurs applications à l’industrie et à l’artisanat.
Sous l’impulsion de Monsieur Veydt, ancien échevin d’Ixelles et président du Conseil de perfectionnement des arts du dessin, c’est notre commune qui est choisie pour tenter l’expérience la première.
Dès le 30 juin 1863, le Conseil communal unanime approuve la proposition du bourgmestre Albert Hap de créer « une école communale pour l’enseignement du dessin et du modelage » qui, dès le départ, bénéficiera des subsides de la Province et de l’État.
En ces temps de débuts héroïques, le personnel se limite à deux membres : le peintre Émile Bouillot, directeur-professeur de dessin et le statuaire d’Union, chargé du cours de modelage.
Dès le 19 octobre, la nouvelle institution s’installe au coin des rues Mercelis et des Champs-Elysées, dans un petit bâtiment qui avait abrité jadis, la première école primaire communale. Dans le couloir, est garée la pompe à bras des sapeurs-pompiers volontaires et, dans les classes, l’éclairage au gaz est à tel point parcimonieux, que l’appoint de quelques lampes à huile est indispensable. Monsieur Émile Duray, ancien élève de l’École de Dessin et futur bourgmestre d’Ixelles, dira plus tard combien cette semi-obscurité bienveillante se faisait, à l’occasion, la complice des combats de boules de terre glaise … Parfois même, l’intervention du garde-champêtre Dirieckx devenait nécessaire !
Malgré ces conditions précaires, la jeune École de Dessin et de Modelage d’Ixelles connaît d’emblée le succès. Elle compte 138 élèves pour l’ année scolaire 1863-1864 et, à l’issue du premier concours, Guillaume Geefs, statuaire du Roi et membre du jury, tient à faire acter au procès-verbal, qu’il a été « très satisfait des résultats obtenus en aussi peu de temps. » A la suite de ce rapport élogieux, le Gouvernement accorde à 1’Ecole quatre médailles royales et Charles Rogier, en personne, honore de sa visite 1’exposition des travaux d’élèves. Quant à Monseigneur le duc d’Arenberg, il fait don à l’ institution d’une somptueuse collection de plâtres d’après des œuvres antiques, qui décorait son hôtel du Petit-Sablon.
En 1866, l’architecte Beyaert est membre du jury. Il crée bien des remous en insistant pour que tous les élèves puissent assister à des cours de dessin d’après modèle vivant … Suggestion audacieuse qui, finalement, sera rejetée. Moins contestée, sera, la même année, l’attribution d’un prix de dessin au jeune Léopold Delbove qui, dans l’insouciance de ses 17 ans, ignore qu’il sera un jour échevin d’Ixelles.

L’année 1867 voit l’ouverture d’une classe d’architecture confiée à Monsieur Dumortier et, petit à petit, la saturation des locaux de l’école. Deux ans plus tard, celle-ci est transférée dans les bâtiments de l’École n°l, capable d’abriter plus de 200 élèves dans ses classes du n°97, rue du Viaduc, Cette deuxième installation sera, elle aussi, provisoire. En dépit de travaux d’aménagement, confiés en avril 1875 à l’entrepreneur Jean-Baptiste Guiraciez, le transfert en un lieu plus vaste est sérieusement envisagé. Il se réalisera en octobre 1883, avec le déménagement de l’école vers le n° 128 de la rue Sans-Souci, où l’attend un immeuble de prestige, construit en 1876 par l’architecte Coenraets et, depuis peu, délaissé par l’Orphelinat.
S’établir rue Sans-Souci, dont le numéro 111 servit d’atelier à Auguste Rodin, peut-on rêver sort plus enviable pour une école d’art ? Mais quelques travaux « d’appropriation », dont le coût est estimé à 5.840 francs, sont indispensables. Commencés en janvier 1884, ils sont si rondement menés par l’entrepreneur Wautier que, dans le courant de la même année, l’installation est effective.
Pour fêter dignement l’événement, l’École communale de Dessin et de Modelage prend le titre d’École des Arts industriels et décoratifs d’Ixelles. Par la même occasion, le graveur Jean-Baptiste Meunier, frère de Constantin, est chargé du cours de dessin d’après nature … Rien ne peut arrêter l’évolution des temps, comme le prouve encore, en 1898, l’autorisation accordée au directeur, d’accepter des jeunes filles comme élèves. Bien peu d’entre-elles connaîtront le règne du vénérable Émile Bouillot qui, après avoir animé durant 35 ans l’école qu’il avait fondée, prend sa retraite le 13 juin 1899. Le Conseil communal lui désigne pour successeur le peintre Léon Mundeleer (…). Celui-ci conservera ses fonctions jusqu’en 1921. Émile Vautier lui succède pour quelques mois seulement, avant de céder sa place à Antoine Pompe qui, dès 1922, met en application un programme rénové. Après la démission de Pompe, la direction de l’École va être successivement confiée à Auguste Sacré (1939), Albert Bailly (1946), Philibert Schomblood (1952), Claude Lyr (1965), Roger Duterme (1981), Jacques Muller (1984), Alain Jacquemin (1991) et, depuis juin 2015, Jacques Vandenheede.

Adapté de l’article de Michel Hainaut « l’Ecole des Arts a 120 ans » in Mémoire d’Ixelles, n° 9 (mars 1983)